Voyage au pays de l’intelligence collective – Épisode 9 : « Décoder l’implicite de l’explicite »

Facilitation, Coaching, Codesign : toutes ces pratiques d’accompagnement des collectifs de travail s’inspirent de grilles de lecture permettant de décoder ce qui se joue entre les parties prenantes dans les situations de travail observées. Effectuées au bon moment, ces prises de recul partagées, comme un zoom inversé, permettent des prises de conscience salutaires pour dépasser les habitudes et les fonctionnements limitants.

Voici une de ces grilles de lecture, proposée par E. Schein, dans son ouvrage « Process Consultation Revisited. Building the Helping Relationship ». (1998) Boston : Addison Wesley », commentée par Olivier Piazza, Co-Directeur du DU « Intelligence collective » de Cergy Pontoise, dans un article très argumenté.

J’en reprends ici quelques principes de base, avec son aimable autorisation, pour développer son écho.

Une grille de lecture du fonctionnement d’un groupe de travail en 9 segments. 

A chaque instant de la vie d’un collectif de travail, ce qui se passe dans les échanges, ce qui se vit ou s’observe entre les membres, relève de registres, de niveaux logiques bien différents. Sans conscience de ces plans parallèles, les échanges entre membres d’un collectif peuvent devenir stériles.

La grille ci-dessous a été élaborée par Edgar Schein, l’un des fondateurs du Développement Organisationnel, Professeur au M.I.T., pour mieux comprendre ce qui se joue dans un groupe, à ces différents niveaux logiques.

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Fig : Les neuf segments de jeu d’un collectif — E. Schein, Process Consultation Revisited.

La segmentation horizontale. 

La segmentation horizontale permet de distinguer Contenu / Process / Structure.

1. Le Contenu (ce qui est dit et fait) : Ce niveau logique se réfère à ce qui est dit ou fait. C’est le cas d’une équipe, un groupe, une organisation qui focalise toute son énergie sur les sujets opérationnels ou stratégiques, sans prendre de recul sur ses modes de fonctionnement. Chacun fonctionne dans le flux de l’action sans prendre le temps de la perspective pour évoluer. Les retours d’expérience et la capitalisation sont rares et peu valorisés dans ces collectifs. Ce faisant, ces équipes, groupes ou organisations limitent leur capacité d’apprentissage et par conséquent leur capacité d’adaptation et d’évolution à leur environnement.

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2. Le Process (comment les choses sont dites et faites) : il concerne le comment, la manière dont les échanges sont organisés : tacite et implicite dans la plupart des cas, ou bien intentionnelle. C’est à ce niveau logique qu’opère le facilitateur. Il élabore et guide le process d’une réunion d’un groupe, sans intervenir sur le contenu des échanges. C’est ce qui protège l’équipe d’une intrusion dans ses sujets de travail. C’est aussi ce qui laisse à l’équipe son autonomie de décision.

Une équipe qui acquière la capacité à observer et expliciter ses process pour ensuite les modifier (position méta) fait ainsi preuve de capacités d’apprentissage essentielles pour s’adapter à son environnement.

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3. La Structure (récurrence des modes d’action) : elle porte sur le contexte, le cadre, les process habituels, à tel point qu’ils sont comme des architectures invisibles guidant les comportements des groupes. On les nomme aussi patterns. Ils sont la clé de l’évolution des écosystèmes.. Ces « pattterns » conditionnent de manière durable le fonctionnement d’un groupe. C’est donc sur ce plan que les effets de leviers sont les plus importants et parfois les plus difficiles. Le coach apporte une valeur ajoutée spécifique sur sa capacité de décryptage de ce niveau logique

C’est le troisième niveau d’apprentissage qui ouvre la question « Comment changeons-nous ? », à partir du niveau logique précédent (niveau 2 basé sur les process) : « Qu’avons-nous appris ? ».

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Ce niveau Structure / Patterns est présent dans tous les dispositifs proposés pour catalyser l’intelligence collective :

  • Le World Café propose un contexte de conversation spécifique, permettant, dans une dimension temporelle très courte, de transcender les 3 niveaux logiques, pour faire émerger le meilleur des participants (cf. article précédent, Épisode 4)
  • Le contrat de coaching constitue, quant à lui, un cadre permettant de tirer parti de ces 3 niveaux logiques, pour faciliter les transformations individuelles et collectives,
  • Sur le plan de l’éducation, l’agencement d’une classe Montessori et le matériel utilisés constituent en eux-mêmes un véritable éco-système qui permet l’éclosion des enfants.
  • Les FabLabs et autres tiers-lieux sont aussi conçus pour laisser toute leur place aux patterns favorisant l’innovation.

Autant de fonctionnements où les architectures visibles sont conçues pour favoriser des comportements et interactions voulues. Le co-designer y accordera toute son attention.

 

La segmentation verticale. 

La segmentation verticale permet de distinguer les différentes natures de fonctionnement au sein du collectif.

1. Les tâches : cette colonne rassemble tous les échanges liés au but visé, à la mission à accomplir, soit l’essentiel des interactions entre les membres des équipes. Ce sont les moments où les sujets avancent, souvent appelés le “vrai“ travail.

L’observation permet de distinguer la nature de ces types de fonctionnement selon les 3 niveaux logiques :

  • Contenu : le travail, les tâches, les buts.
  • Process : comment se passent les interactions sur le Contenu = les manières d’accomplir le travail ensemble, par exemple dans la résolution des problèmes et les décisions prises.
  • Structure : les patterns observables ou les éléments de contexte prévus pour structurer les interactions entre les personnes dans le travail = les process récurrents et les cadres de références implicites pour accomplir le travail.
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2. L’interpersonnel & le groupal : cette colonne porte sur les dimensions relationnelles, interactionnelles et sociales du groupe. Cela peut être pour créer des relations de proximité entre les membres de l’équipe, en anticipation pour créer un environnement de travail favorable, en réaction à des frictions manifestées, etc…

Les trois niveaux se distinguent ici aussi :

  • Contenu : les ressentis, comportements constructifs ou de défense : “j’apprécie de travailler avec toi“ ; “tu ne m’écoutes pas“…
  • Process : les manières de gérer les relations et la dimension sociale : temps de convivialité collectif, tour de parole de ressentis individuels, frictions entre personnes.
  • Structure : les patterns observables ou les rites agissant sur les relations = les process récurrents et les cadres de référence implicites pour gérer les relations, l’autorité, la culture.
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3. Les frontières : cette colonne se concentre sur le périmètre du collectif de travail, son identité, sa composition et son évolution. Elle soulève des sujets capitaux souvent minimisés par les équipes, comme la place de l’inclusion, la réussite de l’intégration d’un nouveau membre dans un collectif, la tolérance pour lutter activement contre la marginalisation et l’exclusion. Elle comprend aussi la dimension de l’identité collective, le fameux “nous“.

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A nouveau, les trois niveaux apportent une richesse d’analyse fructueuse.

  •  Contenu : place de l’intégration dans le collectif (phénomènes d’inclusion, d’exclusion ou de marginalisation : “X rejoint l’équipe“) ; importance de l’identité et des rôles à jouer dans le collectif (qui suis-je et que fais-je dans cette organisation ?) ; poids des clans et des jeux d’influence (à qui dois-je prêter allégeance, quels sont mes intérêts ? “le service Y nous trouve arrogant“ ; “le partenaire Z n’est pas assez impliqué“) ; réactions en cas d’explosion et/ou de fusion (en cas de conflits ou de restructuration).
  • Process : manières d’inclure et d’exclure, d’intégrer, de protéger le groupe : actes d’inclusion en début de séquence et de clôture en fin de séquence, invitation faite aux personnes silencieuses de s’exprimer,…
  • Structure : les patterns observables agissant sur le collectif = les process récurrents et les cadres de référence implicites pour gérer l’identité du groupe et ses frontières. Par exemple, la présence ou l’absence répétée de parties prenantes, l’attention organisée pour l’équilibre des temps de parole, la configuration des sièges et de l’espace…
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Cette matrice peut être utilisée en toile de fond de l’analyse des interactions dans un collectif, pour la personne accompagnatrice (facilitateur, coach, co-designer, …). Mais aussi comme catalyseur des modes de fonctionnement explicites ou implicites avec les équipes concernées.

Qu’elle que soit son mode d’application, elle est riche de découvertes et d’étonnements, individuellement et collectivement. 

 Et vous, à quelle occasion pensez-vous pouvoir l’utiliser ?